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le voisin

12 octobre 2016

Auriane, 25 ans, Guibeville.



De quoi ta vie est-elle faite en ce moment ? Quelles occupations, préoccupations, pensées, inquiétudes, joies, ras-le-bol, aujourd'hui ?

J’ai l’impression d’être à un tournant important de ma vie. Je suis à l’aube de mes 25 ans, le quart de siècle, j’ai encore toute ma vie devant moi mais j’ai aussi déjà vécu beaucoup de choses. Le tournant, je le caractérise par des ruptures, des continuités... Je m’explique. Tout d’abord dans ma vie professionnelle. Je suis diplômée depuis bientôt 6 mois, et je suis à la recherche de mon premier emploi. Quand je l’aurai trouvé, cela enclenchera tout un champ de possibilités pour moi : être indépendante financièrement, quitter définitivement le nid familial et avoir mon propre logement, profiter de la vie plus que je ne le fais maintenant en sortant, en partageant de bons moments avec mes amis. Rencontrer de nouvelles personnes, et je l’espère, trouver celui qui partagera un bout de ma vie. Mais pour l’instant, je ne peux pas vraiment, et c’est assez frustrant. Je suis obligée de compter sur d’autres pour me déplacer, pour m’héberger quand je ne peux pas rentrer chez moi le soir parce qu’il n’y a plus de transports en commun... Tout est lié à cet emploi, et j’ai hâte que cette période de doutes et d’incertitudes cesse pour profiter pleinement de ma vie.

Sinon, en attendant, j’essaye de diversifier mes activités. Je travaille bénévolement pour une association, c’est agréable de sentir qu’on peut être utile à d’autres. Je nourris ma passion pour le projet du Grand Paris en me rendant à la plupart des colloques, débats, ateliers qui permettent d’échanger sur le sujet. En plus de m’apporter des connaissances, je me dis que ça peut être une bonne porte d’entrée pour le boulot (j’ai une formation en urbanisme, et ça serait vraiment un rêve de pouvoir travailler à temps plein sur ce projet !). Je vois mes amis, l’été qui arrive m’encourage à programmer tout un tas de sorties. Rien que pour les prochains jours, je vais aller voir dans un bar le match d’ouverture de l’Euro 2016 avec une amie, je vais bruncher avec des amies pour mon anniversaire, le week-end d’après je continue les festivités anniversairées avec d’autres amis. Et j’ai plein de projets en réflexion : aller faire du vélo le long du canal de l’Ourcq, faire des pique-niques, un karaoké, passer un week-end à Londres chez une copine... J’ai toujours mille idées qui me traversent la tête, mais j’ai du mal à les mettre en application parce que je ne trouve pas tout le temps les personnes réceptives en face de moi. Mais j’essaye de prendre ça positivement, en me disant qu’un jour, j’arriverai à accomplir tout ce que je veux, en faisant plaisir aux gens autour de moi, et aussi en me rendant heureuse !


Qu'est-ce-qui te plaît dans le Grand Paris ? Que penses-tu que le Grand Paris peut changer pour les parisiens et les franciliens ?

Le Grand Paris, c’est un grand projet qui traite plein de thématiques touchant la vie quotidienne des Franciliens. Quand on pense qu’avec le nouveau métro, on pourra diviser ses temps de trajet par 2 ou par 3, c’est magnifique ! J’avais étudié un exemple précis : actuellement, il faut 1h pour aller de Clichy-sous-Bois / Montfermeil à la fac de Marne-la-Vallée. Pourtant, une ou deux communes séparent les deux lieux. Avec le métro du Grand Paris Express, le temps de parcours sera de... 6 minutes ! C’est extraordinaire ! Et puis il permettra de prendre en charge plus activement les problèmes de logement, d’environnement, cela créera de l’emploi et permettra à Paris de tenir le rang des grandes métropoles mondiales. Le seul problème, c’est que le projet du Grand Paris n’en est encore qu’à ses débuts (mais ça fait 15 ans qu’il est en gestation), et il a du mal à évoluer positivement. Pour beaucoup, cela reste un « machin politique ». Les citoyens ne sont presque pas associés au projet, on a tendance à réduire celui-ci aux futurs transports... Pour ma part, j’aimerais vraiment qu’on prenne en compte l’avis des métropolitains. Alors même si je n’habite pas dans le périmètre de la Métropole, je participe à des ateliers de co-construction de la Métropole, j’assiste à des débats. De mon initiative personnelle, j’ai créé un blog (cliquer ici : Envolées Métropolitaines). Mon objectif est de rendre le Grand Paris accessible à tous, de fédérer les gens autour de ce projet. Mon blog est récent, mais qui sait, peut-être qu’un jour mes réflexions donneront des idées aux décideurs (ou alors je deviendrai moi-même décideur et j’appliquerai toute seule mes projets !) !

Après, le temps de l’aménagement, entre le projet, les travaux et la mise en fonctionnement, est très long. Les gens veulent que cela change tout de suite, et c’est difficile de se dire qu’il va falloir encore attendre quelques années avant d’avoir de nouveaux transports, des logements, de l’emploi. Il faudra se montrer patient, mais quand la Métropole du Grand Paris aura accompli ses premières actions, alors peut-être que l’on s’y intéressera plus. Je l’espère !



Je te sens pleine d'enthousiasme et de rêves pour le monde, pleine d'allant : as-tu des idées de choses concrètes qu'on pourait améliorer, inventer, changer, dès maintenant, en France ou ailleurs ?

Je ne sais pas vraiment. On en a tous je pense, on ne se satisfait jamais vraiment de ce que l’on a, alors qu’on a déjà beaucoup de choses, trop de choses. On peut essayer de faire bouger les lignes à notre échelle, mais il y a souvent des freins. J’aimerais bien consommer plus local par exemple. C’est bon pour l’environnement, les producteurs. En Île-de-France, on a plus de ressources qu’on ne le croit. Mais cela a encore un coût, et comme ce n’est pas moi qui décide de ce que l’on mange en fonction du budget, je ne peux pas encore exaucer mon vœu. Autre chose. On est plein à vouloir de meilleures relations entre les gens, que chacun apprenne à se connaître, qu’on échange dans le respect de l’autre. C’est toujours plus compliqué à mettre en œuvre dans la réalité. Par exemple, je ne connais pas trop mes voisins. L’idée m’a traversé l’esprit d’aller déposer un petit mot dans leur boîte aux lettres en leur souhaitant une bonne fête des voisins. Je ne l’ai pas fait. Par peur d’être jugée par mes proches qui n’auraient pas vu l’intérêt de cette démarche ? Je ne sais pas vraiment... On aspire à un retour à la communauté, où l’on partagerait nos outils de bricolage, notre matériel de cuisine. Mais honnêtement, combien le font vraiment ? Chacun est enfermé sur soi et se permet de critiquer dès que cela ne va pas dans son sens. Ça fait un peu pessimiste comme vision, mais il faut voir aussi la réalité. Alors si j’avais une idée pour changer les choses à mon niveau, ça serait peut-être d’oser, de dire ce que l’on pense vraiment. Parce que cela fait du bien à tout le monde, même une remarque qui peut être négative de base peut être transformée en quelque chose de poli qui sera bien compris par les deux interlocuteurs. Pour le positif, je me souviens, une fois, j’ai vu une dame d’un certain âge avec une tenue magnifique dans le RER. Elle est descendue à la même station que moi, et j’ai osé lui dire ce que je pensais. Au final, je me suis sentie super heureuse de lui avoir dit, et elle a sûrement dû être touchée que quelqu’un lui dise qu’elle était belle. Je pense que je pourrais encore dire plein de choses, car tout ne me plaît pas dans le monde dans lequel nous vivons. Mais plutôt que de partir sur des discours grandiloquents sur les riches trop riches, les politiques qui n’écoutent pas le peuple, je préfère déjà voir ce que moi je peux faire à mon échelle pour que la vie soit un peu mieux.

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Ce que Auriane voit quand elle attend le RER à la gare.


Tu es, pour cette période de transition entre étudiante et travailleuse, chez tes parents : est-ce-que tu loges dans ta chambre d'enfant ? L'as-tu laissée dans son jus d'avant, l'as-tu déjà transformée en « ta chambre de quand tu n'habiteras plus chez tes parents » ? Quels sont les éléments de décoration qui sont là depuis toujours ? Quels sont les objets, les trucs, qui parlent de l'Auriane actuelle ? Comment sont les murs de ta chambre ? Y as-tu accroché des choses ? Est-ce-que tu déménageras ta chambre dans ton futur logement, ou est-ce-que tu auras envie de la laisser telle quelle chez tes parents ?

Ah ma chambre ! Toute une histoire... A vrai dire, il y a déjà eu deux transitions entre le moment où j’ai commencé mes études et maintenant, parce que j’ai deux fois quitté le domicile familial pour un logement étudiant, puis j’y suis revenue. La première fois, c’était lors de mes trois années de prépa. Je déménageais ma chambre d’étudiante chaque été pour éviter de payer un loyer pour rien. Alors la première année, quand je suis rentrée avec une bonne cinquantaine de livres supplémentaires par rapport à mon départ, il m’a fallu acheter des étagères ! Mais depuis, ma chambre n’a pas vraiment changé. Mes parents m’avaient déjà refait ma chambre il y a 12 ans, pour changer le papier peint enfantin Bambi en un papier peint plus « adulte », avec des fleurs (j’ai été extrêmement compliquée sur le motif du papier peint, on a fait 13 magasins pour le trouver !) Je n’aime pas trop le changement, même si j’y aspire tout de même. Je garde beaucoup de choses, j’ai du mal à ranger (ce qui provoque de nombreux conflits au sein de la cellule familiale !) J’aimerais bien une chambre plus « moderne », à l’image de celle de mon frère, qui a refait toutes les peintures et le sol il y a 2-3 ans ; elle a des couleurs douces, elle est bien rangée, bien décorée, il a des meubles fonctionnels, sa propre télé, un lit deux places... Moi j’ai encore mon lit d’enfant, j’ai des petites peluches qui traînent dans mes étagères pour « décorer ». Certaines vont bientôt rejoindre le carton à peluches parce que j’en ai vraiment trop ! (j’en profite pour passer un message à ceux qui me liront : oui, j’adore les peluches, surtout quand elles ont un air trop mignon et qu’elles sont toutes douces. Mais je vous en supplie, arrêtez de m’en offrir à mon anniversaire, je ne sais plus où les caser ! Et si vous manquez d’idées, une bouteille de vin fera très bien l’affaire !) Sur les murs, le grand changement que j’ai fait récemment, c’est de retirer toutes les peintures Numéro d’art que j’avais faites enfant. Je n’en ai conservé qu’une. J’ai retiré aussi un poster de petits chats... Mais ça m’a pris du temps pour prendre la décision. J’ai deux petites étagères remplies de bibelots – souvenirs de vacances, de famille. Ça prend la poussière, mais je ne me vois pas m’en séparer. 

 Finalement, il n’y a pas eu de changements majeurs ces dernières années. J’ai un pan de mon armoire couvert de photos d’amis rencontrés lors de mes années d’études (il faudrait que je le refasse parce que les deux tiers des photos sont tombées !) Malgré mes envies de changement, je ne pense pas que cela se réalisera avant mon départ définitif de la maison. Il y a d’autres chantiers en cours avant, comme refaire la chambre de mon autre frère, faire des travaux dans le jardin... Ma chambre est secondaire, mes parents me répondent à la négative pour changer mes meubles, en mode « où vas-tu caser un lit deux places dans ton bazar ? » Depuis un an, ma chambre est statique, dans l’attente d’un nouveau départ. Je sais que beaucoup de choses resteront en l’état. Mes livres, ma chaîne-hifi partiront avec moi. Mon lit sera peut-être changé pour un canapé deux places, pour me recevoir plus tard. J’aurai beaucoup de tri à faire dans mes affaires, je ne pense pas que mes parents seront d’accord pour que je laisse ma chambre dans le bordel actuel où elle se trouve ! Ma chambre caractérise peut-être mon état d’esprit : l’envie de changement, mais une incapacité de le mettre en œuvre. C’est rassurant dans un sens de voir que les choses restent comme elles le sont, malgré l’avancée. Néanmoins, cette question qui me permet de regarder ma chambre autrement me donne sérieusement envie d’un grand ménage !

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Ce que Auriane voit depuis son lit.



Gardes-tu tous tes livres  (et si « non », lesquels gardes-tu ?) ? Quel genre de livres aimes-tu lire ? Veux-tu parler d'un livre auquel tu tiens particulièrement ?
Serais-tu d'accord pour sélectionner une chose (un objet, une image, ou toute autre chose…) dans ta chambre, que tu as depuis vraiment très longtemps, et de nous raconter son histoire et les souvenirs qu'elle t'évoque ? Dans quelles circonstances cette chose est-elle entrée dans ta vie ? Des pensées que tu as eues en la regardant, un jour ? Une anecdote qui lui est liée ?
As-tu dans ta chambre une chose qui symbolise ta vie de femme indépendante qui se profile ? Si oui, tu veux en parler ?

Oh non, je ne garde pas tous mes livres ! J’en ai eu beaucoup lors de mes études « prépa », avec des livres très spécifiques en littérature, en philosophie... Ce sont des livres que j’ai à peine ouverts faute de temps et qui ne m’intéressent pas spécialement. J’ai préféré les revendre et rendre l’argent à mes parents qui me les avaient payés. J’ai gardé des livres d’histoire, de géographie, des classiques de littérature que je lirai peut-être un jour mais dont je n’éprouve pas l’envie pour le moment. Autres que mes livres en rapport avec mes cours, j’en ai certains que j’ai depuis des années, que j’ai gardés parce que je les avais aimés. Des livres de mon enfance et de mon adolescence aussi : les Harry Potter, la série « 4 filles et un jean », celle de « Gossip Girl » (qui a inspiré la série télévisuelle). J’ai des bandes dessinées aussi : la collection de Cédric, un début de collection des Spirou, des Nombrils, des Nelson. J’étais abonnée au magazine Spirou à la fin de mes années collège et pendant une grande partie de mes années lycée ! En fait, j’ai toujours aimé lire depuis toute petite, et pourtant aujourd’hui je ne lis pas tant que ça. J’ai un rapport boulimique à la lecture : quand je me plonge dans un livre, je n’arrive pas à en décoller jusqu’à la fin. Je peux passer des journées à ça, c’est assez prenant et quand j’en sors, j’ai du mal à m’y remettre. Je lis le journal Le Monde aussi. Pas tous les jours, mais ça me permet de rester au fait de l’actualité, d’apprendre des choses. Si je ne devais retenir qu’un livre, ça serait mon préféré, La Nuit juste avant les forêts, de Bernard-Marie Koltès. Mon professeur de lettres modernes nous l’avait fait lire lors de ma première année de prépa. C’est un monologue assez court qui a pour particularité de n’avoir aucun point de ponctuation. Je ne saurais pas expliquer pourquoi ce livre me plaît tant. On se sent aspiré dedans, pris dans le tourbillon du récit qui apparaît assez décousu. L’histoire d’un homme étranger qui se retrouve à la rue, qui cherche à converser avec d’autres, qui se souvient. A la fin de ma première lecture, j’en ai pleuré. Et j’ai vu des adaptations théâtrales. Je l’ai relu plusieurs fois depuis, mais rien ne remplacera la découverte, la première fois où je l’ai lu.

 Je choisis ma tirelire comme objet. Je ne me souviens plus du moment où elle est entrée dans ma vie. C’était peut-être un cadeau de naissance. Elle représente un ours habillé en bébé avec un biberon dans son bras gauche. Avec dans le dos la fente pour mettre les pièces et un trou sur le socle pour les retirer. Cette tirelire était auparavant sur l’étagère la plus haute de mon armoire. Elle l’a partagée pendant un temps avec la tirelire coccinelle de mon petit frère. Je ne me rappelle plus trop y avoir mis de l’argent, mais elle était pleine. Un jour, j’ai décidé avec mon frère de la vider pour mettre les pièces dans mon porte-monnaie. Pas tout d’un coup, mais en une matinée, j’ai peut-être retiré quelques pièces en plusieurs quarts d’heure. J’avais fait pareil avec la coccinelle de mon frère pour lui donner. Mais ce dernier n’a pas su tenir sa langue et a dit à mes parents mon méfait. Je me souviens avoir pris un coup de baguette de pain sur le bras par ma mère pour me punir ! Et tout a été remis dans ma tirelire, avec interdiction d’y toucher. Je ne sais plus quand j’y ai eu de nouveau accès. J’y mettais mes pièces et leur valeur sur un papier que je rangeais dans la tirelire. Mais une fois définitivement vidée pour mes plaisirs adolescents (un vernis à ongles, un magazine avec mes stars préférées...), la tirelire est toujours restée sur son étagère. Je n’ai jamais pensé à la retirer, à la donner. Je la trouve jolie, mais je sais aussi qu’elle ne me suivra pas dans mes futurs déménagements. Elle appartient à mon enfance, à l’apprentissage de l’argent et sa valeur, et je trouve que sa place est très bien sur son étagère. Peut-être que je la garderai pour mes enfants, si j’en ai un jour.

 À l’inverse, je n’ai pas trouvé quelque chose dans ma chambre qui caractériserait mon indépendance. J’ai une chaîne-hifi depuis mes 10 ans. Mon ordinateur portable depuis mon bac, une imprimante. Mais ces objets ne sont pas à mes yeux valeur d’indépendance. Ce seraient plutôt d’autres objets qui caractériseraient mon indépendance, mais qui ne sont pas visibles car rangés : une poêle, ma balance électronique pour cuisiner, ma spatule en plastique... Je les ai acquis lors de ma dernière semi-indépendance et ils me seront d’une grande utilité le jour où je m’installerai définitivement. En y réfléchissant plus, les vrais objets se cachent dans mon sac à main : mon Pass Navigo pour prendre les transports en commun et me déplacer comme je veux en Île-de-France pour sortir, voir mes amis ; mon permis de conduire, qui ne me sert pas trop en ce moment, mais que je sais tellement important quand je vois mes amis galérer pour avoir le leur ou quand il est précisé sur les offres d’emploi auxquelles je postule ; et ma carte bancaire, qui me permettra de faire des achats de plus en plus importants je l’espère. Ça fait une belle transition avec la tirelire non ?

 Quant à ma chambre, pour qu’elle soit plus en adéquation avec ma personnalité d’aujourd’hui, il faudrait que tous mes cours soient rangés correctement dans des cartons, que mes placards ne débordent plus d’affaires scolaires. Que je fasse du tri dans mes journaux qui s’accumulent mais que je n’ai pas à cœur de jeter parce qu’il y a peut-être des articles que j’ai envie de lire dedans (mais c’est difficile de lire un quotidien quotidiennement !) J’ai envie d’une plus grande armoire pour mieux stocker mes fringues. Un lit deux places. Une nouvelle décoration sur les murs. Mais ce n’est pas la priorité de mes parents de refaire ma chambre, leur excuse pour ne pas céder à mes envies d’ameublement est « ta chambre est trop en bazar, tu n’as pas de place pour un lit deux places ! ». Donc ma priorité serait surtout de ranger, mais il y a tellement d’autres choses mieux à faire dans la vie !

 Mon futur chez moi, je l’imagine en banlieue, dans une ville. Pas à Paris. Paris c’est joli, c’est hyper bien connecté niveau transports, on trouve tous les commerces que l’on veut, mais c’est beaucoup trop cher. Mon lieu d’installation dépendra surtout de mon futur travail. Dernièrement, avec mes récentes réponses à offres, je me voyais à Juvisy-sur-Orge : dans l’Essonne (le département où j’ai toujours vécu), dans la Métropole du Grand Paris (depuis janvier), à 15 minutes du centre de Paris en RER, 25 minutes de chez mes parents dans l’autre sens. Mais dans une ville, avec les zones commerciales que j’ai fréquentées accessibles. J’ai bien aimé habiter Noisy-le-Grand aussi pendant ma dernière année d’études : je pouvais m’y débrouiller avec juste les transports en commun, être proche de Paris, habiter en Seine-Saint-Denis, avoir les commerces et la fac pas trop loin... Mon logement serait un petit appartement, une pièce ou deux selon mes moyens financiers. Si je sais que j’y resterai un certain moment, je le décorerai peut-être, mais je n’ai pas encore eu le temps d’y penser. Il serait fonctionnel, et je veillerai à ne pas accumuler autant de bazar que dans ma chambre !

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 La tirelire.



Comment investis-tu le reste de la maison ? Te sens-tu encore « chez toi » après avoir habité dans des vrais chez-toi à plusieurs reprises ? Arrives-tu à te servir des pièces et des objets comme bon te semble, à mettre ta musique dans le salon, à préparer un repas toi-même, ce genre de choses ? Te sens-tu « adulte parmi d'autres adultes » (tes parents, tes frères), ou bien te sens-tu inexorablement revenir à ta place d'enfant et de sœur ?


Dans l’ensemble, je me sens encore chez moi. C’est ma maison, là où j'ai vécu la plus grande partie de ma vie. Ma chambre est ma pièce à vivre, celle que je peux personnaliser, et par la force des choses, celle où je suis le plus souvent. En journée, je suis très rarement dans une autre pièce que ma chambre parce que c’est là que se trouve tout ce dont j’ai besoin pour m’occuper. J’ai mon ordinateur, ma chaîne-hifi pour écouter ma musique. Si je veux regarder quelque chose à la télé, j’utilise le plus souvent mon ordinateur pour le direct ou le replay. Cette conception s’explique par le fait que je suis rarement seule chez moi. Ma mère ne travaille pas, par choix, et elle investit le rez-de-chaussée. Contrairement à moi, sa chambre lui sert seulement pour dormir. Le reste du temps, elle travaille sur l’ordinateur dans la chambre d’amis, elle s’occupe de la cuisine, elle coud, elle regarde la télé, etc. Et elle est souvent dans le salon-salle à manger. Donc je reste dans ma chambre, peut-être pour ne pas la déranger, ne pas empiéter sur ses activités. Ce n’est pas mon style de passer la journée devant la télévision, et si je le faisais dans le salon, j’aurais peur de son regard, qu’elle me juge parce que je suis oisive alors que je devrais être à fond dans ma recherche d’emploi. Dans ma chambre, elle ne sait pas ce que je fais. D’une certaine manière, j’échappe à son contrôle, à son jugement. Mais on se retrouve au moment des repas, quand je l’aide à préparer, à mettre la table, et lorsque l’on mange ensemble. Ça peut paraître un peu associable de ne pas être toujours avec sa famille, je sais que certains amis le vivent d’une manière complètement différente de la mienne. Je pense qu’il faut un juste milieu, et pour moi, le plus important, c’est que l’on se retrouve pour manger tous ensemble, à l’occasion regarder un film à la télé, en soirée, réunis. Et l’hiver, profiter de la chaleur de la cheminée dans le salon !

J’ai des tâches qui m’obligent à prendre ma part de responsabilités au sein de la cellule familiale. Je dois nettoyer de temps en temps la salle de bain et les toilettes que je partage presque exclusivement avec l’un de mes frères, je mets la table, je débarrasse le lave-vaisselle. Parfois, je me propose pour faire un repas. Mais, et c’est quelque chose dont je me suis déjà fait la remarque avant que tu ne me poses la question, j’ai du mal à prendre des initiatives pour soulager la charge de mes parents. Ça vient en partie de ma mère, qui aime gérer les choses comme elle le veut chez elle. Par exemple, je m’occupe très rarement de mon linge, parce que ma mère fait des machines à laver familiales, elle repasse les vêtements de tout le monde en même temps. Elle me reproche de ne pas l’aider sur cette dernière tâche par exemple. À l’inverse, si je décide de l’aider mais que je ne fais pas comme elle a l’habitude de faire, je me prends des remarques négatives. J’ai eu cette impression quand elle m’a laissé la maison seule pour la première fois alors que le reste de la famille partait en vacances. J’étais en auto-gestion : je faisais mes machines, je mettais en route le lave-vaisselle, je cuisinais. Quand elle est revenue, ça ne me dérangeait pas de continuer ces tâches, par exemple étendre le linge sur le séchoir. Sauf que la manière que j’employais ne lui plaisait pas, et elle se sentait obligée de passer derrière moi. C’est un peu facile de laisser tomber, de ne pas aider, mais c’est compliqué aussi de voir que, malgré tous les efforts que l’on fait, on ne satisfait pas la personne. Et il n’y a pas qu’une manière de bien faire, mais ma mère a un peu de mal à le comprendre. Sur ce point-là, je n’arrive pas à faire valoir mes initiatives. Je m’impose un peu plus en cuisine. Il m’est arrivé quelquefois de préparer le repas sans concerter ma mère auparavant sur ce qu’elle avait prévu initialement de servir. Mais c’est très rare. Car comme toutes les autres tâches, ma mère gère le contenu de son frigo, et il n’est pas question d’utiliser un ingrédient si elle avait prévu de le cuisiner autrement ! Je sais qu’elle aime quand je prends des initiatives, surtout quand elle ne sait pas quoi faire à manger. Mais ce n’est jamais simple de lui faire accepter... Malgré le fait que je ne m’implique pas trop chez moi, je me suis toujours pas trop mal débrouillée, que ce soit lorsque j’étais étudiante ou de « gardiennage maison ». Je ne me fais pas trop de soucis pour l’avenir.

Par contre, et ça découle sûrement de mon analyse précédente, je suis encore complètement enfermée dans un rôle d’enfant et de sœur. Je ne suis pas encore « adulte » pour toutes les raisons invoquées précédemment : manque d’autonomie financière, d’indépendance dans mes déplacements, etc. Je suis souvent ramenée à ma situation précaire par ma famille, notamment par mes frères qui touchent un salaire dans le cadre de leur alternance. Même vis-à-vis de ma sœur, qui a sa vie de famille, je ne me sentirai jamais comme une « égale » tant que je ne serai pas indépendante. Je sais que je n’aurai de conversation d’égale à égale avec ma mère que lorsque je ferai ma vie sans son aide, ou que j’aurai des enfants (si j’en ai un jour). Parce qu’à partir de ce moment, on aura des choses à comparer, des expériences à partager. Elle le vit avec ma sœur, donc j’espère bien que mon tour arrivera un jour ! On a tous des vies différentes, chacun va à son propre rythme, mais je sens bien que je ne serai jamais prise totalement au sérieux, je n’aurai pas le droit de donner mon avis sur la vie si je n’acquiers pas plus de légitimité, par le travail, par l’indépendance immobilière, par la vie en couple. Dans un autre sens, on sera toujours l’enfant de nos parents, le frère ou la sœur de quelqu’un. Ce n’est pas parce que l’on quitte la maison que notre image change d’un coup, surtout vis-à-vis de de nos proches. Et on aura toujours besoin des conseils des uns et des autres pour se construire et avancer.

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Vue par la fenêtre de la chambre d'Auriane.
 

Qu'est-ce-qui a changé, depuis tes années de lycéenne (avant que tu partes de chez tes parents), dans ton rapport à votre maison (qui était entièrement tienne quand tu étais lycéenne, et qui est tienne maintenant uniquement par la force des choses - tu vois ce que je veux dire ?) ? Y a-t-il des choses que tu te permettais et que tu ne te permets plus ? Et au contraire des choses que tu n'y faisais pas et que tu y fais maintenant ? Qu'est-ce-qui va te manquer, de cette maison, le jour où tu la quitteras pour ton chez-toi ? Et qu'est-ce-qui ne va pas du tout te manquer ? Quels sont les autres endroits où tu te sens bien, où tu as éventuellement tes habitudes ? As-tu des repères, des cafés, parc, chemins, places, appartements d'amis où tu te sens à la bonne place ? Quelles sont les caractéristiques de ces endroits ? Ont-ils des points communs ?

Je n’ai pas l’impression que mon rapport à ma maison ait beaucoup évolué. Je n’ai pas connu de vraies coupures, car même pendant mes années à Versailles et Noisy, je revenais quasiment tous les week-ends et pendant les vacances. La maison a changé entre temps, mes parents ont refait tout le salon - salle à manger quand j’étais en prépa. Comme c’est la pièce à vivre de la maison, elle a été rendue plus agréable, mais j’ai très vite repris mes habitudes. J’ai même eu de la chance que les travaux aient eu lieu pendant mon absence, comme ça j’étais moins gênée dans le quotidien. S’il y a eu du changement, c’est plutôt par rapport à l’extérieur de la maison : je continue d’appeler le supermarché à côté de chez moi Champion au lieu de Carrefour Market (je crois que le changement de nom a dû avoir lieu pendant mes années prépa, je ne m’y suis jamais faite !), ou mon village. Ça faisait bizarre de recroiser des gens avec qui j’avais grandi, qui continuaient à fréquenter les lieux alentours, leurs amis du collège, alors que pour ma part, je me suis fait mes vrais amis en prépa, mes lieux de sortie ont changé. Mais c’est un autre sujet, je vais reprendre le fil de ta question !

Je ne pense pas que mon quotidien ait changé vis-à-vis du lieu. J’ai dû adapter mon attitude envers mes proches par contre. Aux différents « retours » de mon indépendance, j’ai été traitée d’égoïste dans ma manière d’agir, peut-être par l’habitude d’avoir vécu seule et de retourner dans un endroit de partage. Ces réflexions étaient faites par rapport à la nourriture, au ménage (j’ai eu une relation très conflictuelle avec mon petit frère dans les mois qui ont suivi mon retour de Noisy). Je fais moins de tâches extérieures qu’auparavant aussi, comme ranger le bois pour faire fonctionner la cheminée l’hiver. Mais ça reste anecdotique. Mon quotidien s’est stabilisé depuis, et la prochaine étape sera le départ. Ce qui me manquera, ce sera évidemment l’espace. Ce ne sera pas forcément facile de passer d’une grande maison avec jardin à un appartement. Quoique, je n’étais pas devenue claustrophobe non plus lors de mes expériences en chambres d’étudiant ! Il y a aussi le fait de trouver tout ce que je veux dans la maison : j’ai besoin d’un médicament spécifique, je regarde dans l’armoire à pharmacie ; je veux faire une charlotte aux fruits, je trouve le moule, les ingrédients et le matériel nécessaires. Alors qu’une fois seule chez moi, il faudra que je me constitue mes affaires. Et puis les bons petits plats de maman, la cheminée en hiver... Pour ce qui ne me manquera pas, ce n’est pas matériel, c’est le contrôle parental ! Dormir, manger, sortir à l’heure que je veux, arrêter de me justifier sur mes actions, ne pas me prendre de réflexions pour un oui ou pour un non... Je crois que c’est ce qui motive la plupart d’entre nous à quitter rapidement le domicile familial. Même si on les aime, nos parents !

Je me rends compte par ta question que je ne fréquente pas tant d’endroits que ça. Ça m’arrive de passer quelques jours chez ma sœur, qui n’a pas un mode de vie aussi réglé que mes parents. Donc ça a un côté agréable de ne pas être soumis aux mêmes habitudes. Ça m’arrive de squatter chez des amis quand on fait des fêtes ou que l’on sort tard le soir. Mais la plupart habitent encore chez leurs parents, je m’y sens plus comme une invitée que comme une habituée. Et puis ceux qui ont leur appart' y vivent souvent en couple, avec des petites surfaces habitables, c’est difficile de trouver une place. Mon rêve est de pouvoir recevoir mes amis ou être invitée par eux pour des apéros dînatoires, des soirées vin / fromage / charcuterie, se raconter nos vies jusqu’au bout de la nuit. J’espère bien que cela se réalisera un jour ! En termes de lieux publics, mes endroits préférés varient en fonction de mes humeurs, de la saison, des amis avec qui je suis. Je suis souvent à Paris, près du centre. C’était pour la plupart d’entre nous le lieu de nos études, et c’est assez pratique pour s’y retrouver, comme on vient des quatre coins de l’Île-de-France. J’ai mon salon de thé préféré, pas loin du Jardin du Luxembourg et en face de mon ancienne fac. Pendant un temps, j’y retrouvais mes amies au moins une fois par semaine. Ces moments se sont raréfiés quand j’ai changé de fac, on y va moins en été parce qu’on préfère aller boire un verre ou pique-niquer sur les quais de Seine que déguster un thé chaud. Mais j’essaye toujours d’y entraîner mes amis quand le froid revient. Les thés et pâtisseries y sont délicieux, la patronne est super sympa, et l’endroit chaleureux. Je fréquente les parcs alentours, les boutiques et restos du coin. J’ai aussi mes habitudes près de Montparnasse, aussi un lieu central pour le transport. Dans des restos de raclette. Dans un bar-boîte à Denfert où j’ai fait quelques belles nuits en début d’été. Je ne suis pas attachée à des lieux en particulier, ce sont plutôt les personnes avec qui j’y suis qui les rendent exceptionnels et formateurs de bons souvenirs. Ça répond un peu aux dernières questions. Il y a des lieux où je reviens un peu plus souvent par habitude. Ou parce qu’ils correspondent à des moments particuliers, comme les vitrines des grands magasins et le marché des Champs-Élysées à Noël, ou les zones commerciales près de chez moi au moment des soldes. Mais je n’ai pas de ville préférée, d’endroits où je me dis que c’est là, en ce point, que j’écrirai les pages suivantes de ma vie.



Où peut-on te croiser par hasard ?

Dans les transports en commun ! Et en particulier la ligne C, de Marolles-en-Hurepoix à Paris, et à l'occasion jusqu'à Versailles et Saint-Quentin-en-Yvelines.

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28 août 2016

Sand, 38 ans, Sedalia (Colorado)

De quoi ta vie est-elle faite en ce moment ?

Je pense que j'ai toujours été très liée à la nature, à la force des éléments et à la simplicité de la vie, ayant grandi de manière très indépendante en haute montagne dans une famille d'aventuriers et d'entrepreneurs. Ma façon de vivre, mon nomadisme, m'ont toujours poussée à vivre d'une manière assez minimaliste, centrée autour de ma famille. Très récemment, mon expérience dans l'ouest américain m'a rapprochée encore un peu plus de mes instincts et de mon intuition. J'ai rencontré des chasseurs, des cow-boys et des natifs américains (indiens) qui m'ont beaucoup appris, mais j'ai surtout ressenti à leur contact une résonance, quelque chose qui venait de mon ventre, de mes tripes, une vie à l’état sauvage qui m'appelait. J'ai décidé de vraiment lâcher prise et de partir vivre dans une cabine en bois dans une forêt du Colorado avec ma famille. Nous avons de l'eau de source et un puits, une citerne de gaz, un poêle a bois et deux frigos et congélos pour stocker notre nourriture. Nous avons internet par point to point (une technologie broadband avec parabole qui capte les signaux amplifiés par miroirs d'une tour minimale installée dans la forêt) pour le travail. Le premier village de 200 habitants est à 40 minutes par route en terre. Je prends des cours de tir, principalement pour nous défendre des ours et des pumas, mais peut-être aussi pour m'inscrire à la prochaine saison de la chasse et rapporter un cerf à la maison. Je viens d'acheter des arcs traditionnels pour apprendre à chasser des lapins sauvages aux enfants, et bien entendu je fais l’école a la maison. C'est une expérience que nous allons vivre pendant 1 an ou 2 avant de rentrer en Australie, où ils iront à nouveau à l’école et où je retournerai travailler. Donc en ce moment, ma vie est faite d'amour et d'eau fraîche. C’était mon rêve ultime étant enfant, de vivre dans une maison en bois, avec une chaise à bascule sous le porche et observer les canyons brumeux de l'ouest américain à la tombée de la nuit. J'ai toujours cru que tous les rêves étaient possibles. Et je reste convaincue que c'est vrai.

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Quelles occupations, préoccupations, pensées, inquiétudes, joies, ras-le-bol, aujourd'hui ?

Je suis soucieuse de la dé-responsabilisation du monde. Toujours plus de lois, plus d'assistance, plus d'interventions, plus de guerres... Je suis complètement convaincue que le salut de l'homme réside en son autonomie, non seulement à vivre mais à gérer et régler ses problèmes au sein de sa communauté directe. Je ne crois pas aux gouvernements, ni en la démocratie, ni même en cette idée de 'pays' ou de frontières. Je ne crois pas aux maîtres, ni aux instances supérieures, ni aux séparations. Je crois en revanche en la compassion, en l'empathie et en la logique (le bon sens !), la science, et la liberté qui encercle le simple principe de non-agression. Je crois en le peuple et en la richesse de l’éducation libre. Mes inquiétudes se tournent aujourd'hui vers les gens qui se laissent envahir par la peur et se tournent vers des solutions et des partis radicaux, et donc permettent l’émergence d’états encore plus forts, liberticides et fratricides...

Ma joie, c'est de me lever chaque matin, vivante, un toit au dessus de ma tête et de serrer mes enfants et mon amoureux dans mes bras, de savoir mes amis et ma famille en bonne santé et un ventre plein. Et aussi de sentir le vent et le soleil sur ma peau, le parfum des fleurs sauvages et des épines de sapin, marcher avec mes chiens, monter à cheval, regarder la lune se lever et surtout écouter les coyotes hurler.


Tu es nomade : quelle a été ta route ? Comment choisit-on son chemin quand on peut aller partout ?

Je crois que ma route de nomade a commencé durant mon enfance, où lorsque l'on allumait la télé c'était pour regarder Thalassa ou les documentaires de Cousteau. Et les histoires de Jules Verne qui est le premier à m'avoir fait voyager ! Et puis il y a eu une rencontre bouleversante avec Jacques Mayol, la plongée, un grand voyage sur un voilier avec ma famille, où mon école était les amarres. J'aime l’idée que les hommes soient libres de se déplacer comme bon leur semble sur la planète, ce qui n'est pas le cas malheureusement et c'est parfois très compliqué d'obtenir des papiers. On ne peut pas aller partout. Nous avons choisi de nous concentrer sur les pays anglo-saxons occidentaux, surtout pour des questions de faisabilité financière, de facilité d'emploi et de langue.
Une fois mon diplôme d'archi en poche, et mon gars son doctorat, ma fille Lili étant déjà née en France, nous avons mis les voiles pour l’hémisphère sud. Mes parents sont partis vivre en Polynésie en 2003. Nous avons posé nos valises 6 mois à Rangiroa, un atoll perdu au milieu du pacifique, où mon papa avait à l’époque un petit magasin de fruits et légumes, l'un de mes frères y était perliculteur et plongeur moniteur et bénévole pour Reef Check et mon autre frère jardinier permaculteur. Mon gars a donné des cours de maths et physique pour remplacer un prof malade dans le collège local où ma maman est infirmière scolaire et j'ai dessiné ma première villa en bord de lagon pour des amis.
Avec quelques sous de côté nous sommes partis pour la Nouvelle Zélande. Nous avons trouvé du travail sur place au bout de quelques mois et nous sommes restés 4 ans entre Auckland et Titirangi. Mon fils Jules est né dans l'eau du Waitakere.
Suite à un licenciement (la boite de mon gars a été rachetée par une boite aux US), nous sommes partis pour l'Australie. Nous avons vécu a Sydney durant 6 ans et avons obtenu la nationalité australienne. J'ai lâché l'architecture pour un studio d'art et une mini-ferme, et enseigner aux enfants.
Aujourd'hui nous sommes aux US depuis 2 ans. J'essaye de terminer un roman que j'ai commencé à écrire depuis de nombreuses années. Nous louons nos lieux de vie et ne restons jamais plus d'un an au même endroit. Nous avons habité dans 12 maisons différentes en l'espace de 10 ans ! Si je pouvais vivre dans une yourte ou un tipi, cela simplifierait probablement les choses ! Cette façon de vivre nous a contraints à ne conserver toujours que le minimum avec nous.
Nous pensons rentrer en Australie d'ici deux ans et poser nos valises pour de bon. Et qui sait, peut-être acheter un bout de terrain pour y construire une yourte ou des tipis ? Il y a quelque chose de profond qui s'est passé en moi en Australie, un jour alors que je me trouvais au milieu du désert, dans le Mungo National Park, sur un site aborigène sacré. J'ai su a ce moment là que l'Australie serait notre point final, quand nous serions fatigués de voyager avec notre maison. Et je crois que la proximité de l’océan pacifique sera toujours 'la maison' pour moi.


A quoi ressemble le quotidien quand on habite dans une cabane au milieu de rien (de tout !) : que mange-t-on au petit-déjeuner ? A quelle heure se lève-t-on, se couche-t-on, que lit-on ? A quelle vitesse le temps passe-t-il, alors ? Quelles sont vos occupations ? Faites-vous un potager ? Est-ce-que, comme dans la Petite Maison dans la Prairie, vous vivez votre vie au jour le jour, juste concentrés sur votre « survie » (j'entends par là trouver à manger, réparer une chose utile abîmée…) ?

Le petit déjeuner est notre repas préféré ! Il est très simple et récurrent : œufs brouillés, bacon ou saucisses, assiette de baies, fruits et légumes frais. En Australie nous avions nos poules qui nous donnaient des œufs frais tous les jours. Quel plaisir ! Nous nous levons et nous couchons avec le soleil. C'est une habitude prise depuis notre vie en Nouvelle Zélande. Je me lève à 5 heures et commence ma journée par un verre d'eau ou un thé, méditation et yoga. Nous dînons à 17 heures 30 ou 18 heures et sommes couchés à 20 heures. Mon gars se couche bien plus tard car il travaille avec l'Australie et son décalage horaire. Pour moi le temps passe très vite. Tellement de choses à faire sans cesse... On remplit des carnets, on peint et on dessine, on cuisine (nous ne mangeons pas de 'processed foods' à la maison), on tricote, on coud, on lit, on entretient la maison et la propriété, on coupe le bois, on joue, on marche avec les chiens, on va à la rivière pour pêcher ou nager (on commence tout juste notre initiation à la pêche à la mouche) et nous pensons investir dans des kayaks. Nous avons un potager à herbes, des tomates et des baies, de la rhubarbe. On ne peut pas cultiver beaucoup plus à cause des cerfs qui mangent absolument tout ! Nous sommes loin d’être auto-suffisants, nous allons en ville tous les 15 jours pour stocker nos provisions et descendre nos poubelles. Nous mangeons des produits frais la première semaine, la suivante nous passons aux légumes et fruits congelés et conserves. Nous espérons pouvoir tenir 3 semaines en hiver. Il faut évidemment être autonomes et savoir se servir de ses mains. Le plombier ne vient pas jusqu'ici !

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Là, c'est l'été et le soleil se lève tôt et se couche relativement tard, mais l'hiver, vous arrivez aussi à vous tenir au fait de vous coucher et lever en même temps que lui ?

Oh oui, et c'est un vrai plaisir ! Ce sera encore plus le cas cet hiver alors que nous n'aurons plus de contraintes d'horaires d’école !


J'insiste : en fait, j'ai envie de faire pareil mais je me demande vraiment comment c'est possible l'hiver : si il fait nuit à 17h00, du coup, tu dînes à quelle heure ? Ça décale toute la journée ?

 Si tu décides de vivre avec le soleil, tu décides alors de vivre avec tes besoins, ta faim et ta soif. Tu manges à ta faim et quand tu as faim. Tu bois quand tu as soif. Certains jours tu n'as pas faim, tu ne manges pas. L'institution du nombre et de l'heure des repas est BS (bullshit comme on dit ici). Elle sert à une société établie qui suit un rythme établi, dans un but établi. Rien ne te force à suivre l'ensemble de cet établissement. Tu es un animal, écoute tes instincts et tes besoins, surtout si tu as la chance de pouvoir le faire ! Malheureusement ce n'est pas le cas de la majorité des gens qui doivent se réguler à cause des horaires de travail... En ce moment nous petit-déjeunons vers 9am (après avoir eu une activité physique étant levés depuis 5am-5.30am), nous lunchons légèrement vers 1pm-2pm et nous dînons vers 5.30pm-6.30pm, nous nous couchons vers 8.30pm ou 9pm à la nuit tombée.


Est-ce-que tu peux donner une recette que tu aimes bien cuisiner ?

 Le plat préféré des enfants (et le mien) sont les œufs cocottes. Sinon nous adorons faire des crockpots (des viandes mijotées) ou des ribs au barbecue avec des grosses salades ou des légumes sautés, des frites de patates douces.

Le Pulled Pork au miel et vinaigre balsamique est un favori. Je laisse cuire au moins 8 ou 9 heures. Réchauffé c'est encore meilleur !


Vous faites des balades, j'imagine, des randonnées : que voyez-vous ? A quoi penses-tu quand tu marches dans cette nature sauvage ? As-tu parfois peur (d'animaux, par exemple) ?

 Je vois tellement de choses ! La nature est tellement belle... Des fleurs, des montagnes, des canyons, des animaux sauvages... J'ai croisé des serpents à sonnette, des renards, des coyotes, des cerfs, des élans, des pumas, des ours bruns, des aigles, des piverts, des oiseaux mouches... Je garde toujours une distance de sécurité avec les animaux, donc je ne m'expose pas à des dangers immédiats. En revanche il faut faire attention dans les champs où l'on met les pieds pour les serpents, je garde un œil sur les chiens et les enfants et lorsqu'ils jouent autour de la maison je leur donne un sifflet pour me prévenir d'un danger. Les ours et les pumas sont attirés par les odeurs de nourriture et les proies de petites tailles (les enfants sont donc une proie facile). Il faut rester très vigilant. Nous ne sortons jamais seuls la nuit (sauf sur notre terrasse), gardons nos poubelles dans le garage qui est fermé. En cas d'attaque j'ai une carabine .45 et un spray répulsif qui marche jusqu’à 10 m. Les accidents sont très rares, et la plupart du temps ils arrivent car les êtres humains ont pris des risques ou nourri des animaux sauvages. Je n'ai pas peur des ours si ce n'est de la mère qui veut protéger son petit et prendra elle-même de grands risques, donc toujours se tenir éloignés ! Les ours bruns ne sont pas les ours d'Alaska non plus... En revanche je crains le puma. C'est la raison pour laquelle il faut garder un paysage dégagé autour de sa maison, débroussailler et couper les branches basses des arbres. Et surtout ne pas courir ! Il vaut mieux éviter les joggings dans les bois...

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Comme tu célèbres l'éducation libre, j'imagine qu'en faisant l'école à la maison à tes enfants, tu les suis dans leurs intérêts et interrogations du moment (et que tu ne leur fais pas un cours magistral avec des livres scolaires ouverts devant eux) ? Qu'est-ce-qui les intéresse en ce moment (et quels âges ont-ils?) ?

 Les enfants ont suivi une éducation dans des écoles Montessori jusqu'à présent. Ils sont très autonomes et apprennent d’eux-mêmes. Mon gars et moi-même ne sommes que leurs guides. Nous ne suivons pas spécialement de programme même si on introduit des pistes, mais effectivement l’idée est de travailler avec des projets et des expériences, et d'inclure la vie de tous les jours dans leur apprentissage. Ils doivent par exemple définir la quantité de bois nécessaire pour l'hiver, calculer la consommation de gaz, estimer la consommation d'eau du puits (en incluant les lessives, les douches, le spa, etc...), payer les factures et faire le budget du mois, prévoir et organiser les provisions... Quand nous achetons des billets d'avion ils passent la commande, cherchent des hôtels et organisent un programme de visites culturelles. Nous allons durant les deux prochaines années, visiter tous les 2 mois un endroit différent aux US, comme New Orleans, Chicago etc... Nous avons un télescope, un microscope, la TV (pour la première fois de notre vie !) par satellite avec des chaînes comme le National Geographic, History ou Discovery Science, ils ont chacun un iPad pour leurs recherches et coder, une carte de bibliothèque de la ville de Castle Rock (nous avons un crédit de 50 livres par mois), de quoi faire des expériences de chimie ou de physique... En ce moment Lili, 11 ans, est fascinée par la géologie, elle étudie les formations, la sédimentation, l’érosion, les mouvements de plaques, les différents types de pierres, les fossiles, etc... Elle a commencé une petite collection. Jules, 7 ans adore les divisions. Il divise toute la journée. Parfois il a besoin de scotcher plusieurs feuilles de papier ensemble pour faire une division infinie (un classique Montessori !). Leur papa est ingénieur et très bricoleur, il les aide beaucoup dans leurs entreprises.


Vous allez visiter tous les deux mois un endroit ou l'autre aux États-Unis : savez-vous déjà quelle sera votre prochaine destination ?

Nous commencerons par un road trip en Californie. Notre avion se posera à San Francisco et nous reprendrons le chemin du retour à Los Angeles. Entre les deux, une page blanche à remplir. Nous passerons bien sûr par Big Sur, Yosemite, Palm Spring, Joshua tree... Plus tard, La Nouvelle Orleans, le Montana, Le Maine, le South Dakota, les grands lacs, Hawaii, l'Alaska, le Texas... Nous avons déjà visité la plupart des États entre la Californie et le Colorado.


Comment votre maison a-t-elle été construite là, « loin de tout «  (je mets entre guillemets parce que je trouve aussi que vous êtes au milieu de tout, mais tu vois ce que je veux dire ?!) ? Connais-tu son histoire ?

Elle a été construite en 1990 par son premier propriétaire puis vendue en 2003. Le propriétaire suivant a habité dans cette maison durant de nombreuses années avant de partir pour le Montana. Depuis elle est en location. Je n'ai pas d'autres détails sur la construction. Il est certain que sa construction a dû se faire 'lentement'. Il est possible de monter en camion 4x4 sur le chemin actuel. La plupart des peintures intérieures sont des enduits Navajos et les finitions en bois de bonne qualité. Il y a un poêle Lopy qui chauffe la maison ainsi que du chauffage électrique. L'eau vient d'une source et d'un puits, elle est filtrée par osmose. Les sols sont recouverts de moquettes très épaisses en laine ou de parquets en bois très usés. Il y a une citerne à gaz (pour le chauffage du chauffe-eau et la gazinière).
 

Je reviens à un truc que tu as dit au début de cette interview : tu ne crois pas en la démocratie : quelles sont les alternatives selon toi ?

Non je ne crois pas en la démocratie ainsi définie par nos sociétés contemporaines occidentales. Pour moi le Voluntaryism est une alternative libertarienne qui permettrait à l'homme d’évoluer de manière éthique et pacifique. C'est une philosophie politique assez proche de l'anarcho-capitalisme. Gandhi était probablement l'un des plus grands voluntaryists. L’idée est que toute association humaine devrait être volontaire et dont la base relationnelle est le principe de non-aggression. On la retrouve chez de très nombreux auteurs comme La Boetie, Murray Rothbard, Henry David Thoreau, Schopenhauer, Frederique Bastiat... et chez les philosophes économistes issus de l’école autrichienne (Ludwig Von Mises) et non-Keynesienne. Le voluntaryism se développe largement aujourd'hui dans de nombreux partis politiques anglo-saxons, en Nouvelle-Zélande, en Australie et aux US, sous diverses branches du libertarianisme. Aux US le Free State Project est en train de naître dans l’état du New Hampshire (https://en.wikipedia.org/wiki/Free_State_Project).


As-tu un livre à conseiller en particulier concernant le Voluntaryism ?

Neither Bullets Nor Ballots de Smith et McElroy, The Politics of Obedience, de La Boetie, avec son superbe discours sur la servitude volontaire, A Matter of No Curiosity de Albert Jay Nock, Truth Is Not A Half-Way Place de Carl Watner et préface de Karl Hess, No Treason: The Constitution of No Authority de Lysander Spooner, Chaos Theory de Bob Murphy, The Private Production of Defense de Hans Hermann Hoppe, The Machinery of Freedom de David Freidman, Law of the Somalis de Notten, The Voluntary City de David Beito, Power and Market, Anatomy of the State et For A New Liberty de Murray Rothbard, Our Enemy The State de Albert jay Nock, The principles of voluntaryism and free life de Auberon Herbert, l'oeuvre de Claude Frederique Bastiat est également incontournable et d'une clarté ahurissante, je lis en ce moment l'Etat c'est toi ! aux enfants, en réponse à Louis XIV... J'aime aussi beaucoup Emma Goldman, tous ses écrits sont intéressants. J'ai été bouleversée par The Kingdom of God is within you de Tolstoy, je crois d'ailleurs que c’était l'un des livres préférés de Gandhi.


Je me demandais : quel genre de discussions as-tu eu avec des cow-boys ou des natifs américains ? Où les as-tu rencontrés ? As-tu pu saisir quels genres de rêves, de projets ou d'espoirs sont les leurs ? Quels messages t'ont-ils fait passer ? Et quelles ambiances dégagent-ils ?

 J'ai rencontré des indiens dans leur environnement à plusieurs reprises, de manière individuelle ou folklorique, dans l'Arizona, le Colorado, New Mexico, le Wyoming et dans l'Utah où nous avons fait un trek à cheval dans Monument Valley avec des indiens Navajos et un cowboy de Nashville, Tennessee. L'une de mes amies les plus proches est d'origine native américaine, Arapaho, elle est mariée avec un caucasien. Les indiens ont une vie très communautaire et sont très réservés. A chaque rencontre je n'ai pas spécialement perçu de rêves ou d'espoirs, mais plutôt de la résilience. J'aime acheter des artefacts indiens que je trouve très poétiques, et pour soutenir les communautés. Les danses indiennes sont magnifiques. Nous sommes également très proches d'un cow-boy qui possède un ranch de mustangs. Nous passons beaucoup de temps avec lui et sa famille. C'est un homme extraordinaire. Sa fille était dans la même école Montessori que nos enfants. C'est lui qui leur a appris à monter en selle western et à se servir d'un lasso !

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Est-ce-que ça te fait bizarre de voir des inconnus lorsque vous allez dans votre petit village-voisin-quand-même-assez-loin ? Est-ce-que tu sens que ton comportement vis-à-vis des gens est en train de changer, par rapport à « avant », quand vous viviez plus entourés ? Je veux dire : est-ce-que tu sens que tu te libères de certaines conventions/contraintes, par exemple ?

 J'ai une personnalité très ambivalente. J'aime la solitude et mon regroupement sur ma famille et en même temps j'adore les gens ! C'est toujours un plaisir de rencontrer des inconnus et surtout une chance de changer ses perspectives, d'apprendre. Ils sont eux-mêmes toujours tellement intéressés par notre parcours, nos histoires... Aucun français (en dehors de trappeurs il y a deux siècles en arrière) ne sont venus habiter dans le petit village de Sedalia ! Le Nord du Colorado n'a rien a voir avec le Sud. Dans ce village il y a le meilleur diner de la région avec de supers burgers. Il parait que c'est un road trip stop ! Et oui bien sûr que l'on change nos habitudes. Nous sommes beaucoup plus dénudés et laid back (« décontractés ») qu'en ville. On se douche moins, on utilise juste le gant de toilette !

 
Et vous qui déménagez beaucoup, comment gérez-vous le fait de quitter les amis que vous vous faites ? Est-ce-que ça ne vous a jamais fait hésiter à partir, de devoir quitter de supers personnes ?

 C'est une question que l'on me pose beaucoup. Bien sûr c'est très dur de devoir dire au revoir et de laisser des amis proches ou la famille derrière nous... Mais la perspective de rencontrer de nouvelles personnes et de nous faire de nouveaux amis est très excitante. On garde contact. Certains nous visitent. On sait que l'on se reverra. Et puis il y a les réseaux sociaux... Skype... On a juste pleins d'amis et le cœur qui grossit...

 
Vous sentez-vous tous les quatre comme Adam et Eve, seuls au monde ?

Oui, complètement. De la nudité à l'alimentation... Mais on sait que l'on peut voir des gens avec une simple balade en voiture et ne plus être seuls. Denver est à une bonne heure de route.

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Réalise-t-on qu'on habite sur la même planète que San Fransisco, Paris ou Tokyo, quand on est seuls dans la nature ?

Je pense que nous avons un rythme complètement différent. C'est certain. La même planète oui, mais pas le même monde…


Vous avez le projet de revenir vivre en Australie dans quelques années, et de devenir plus sédentaires : as-tu des idées de choses concrètes qui auront changé dans votre façon de vivre, après ce périple américain ? Des choses que vous faisiez et que vous ne ferez plus, ou des choses que vous ferez différemment ? Est-ce-que tu sais déjà un peu quelles différences il y aura entre la Sand qui est partie d'Australie et la Sand qui va y revenir ?

Mon regard sur l’Amérique et les américains a beaucoup changé. C'est un pays fascinant avec des gens incroyables. Je suis arrivée avec beaucoup d'a prioris et je vais repartir avec un cœur chargé d'amour et d’émotions, une expérience, une réalité. Je réalise de plus en plus à quel point la mondialisation est nécessaire à l'homme et son évolution. Aujourd'hui j’apprécie non plus la diversité culturelle mais l'acculturation. J'ai de plus en plus le sentiment que les cultures séparent et dressent des barrières entre les hommes (qu'elles soient religieuses ou sociétales ou même familiales). Bien entendu je ne parle pas des cultures vernaculaires constructives, artistiques, folkloriques ou artisanales qui ont une beauté et un sens profonds, mais des modes de penser. Je trouve la 'cross-cultural imitation' absolument édifiante et tellement enrichissante. Je crois que c'est la raison profonde de mon nomadisme : me challenger pour m'ouvrir complètement aux autres modes de penser et refouler à chaque fois mon propre épistémè que je ressens comme un carcan. Ce type de transmutation est exaltante. Je ne suis plus étrangère à ma propre culture, ni à celle de mon environnement actuel, mais je suis familière à un tout de ma propre délimitation. A notre retour en Australie, je continuerai à parler du coût des choses comme du beau temps et sans la moindre gêne, car l'argent est un outil et non pas l’œuvre d'une créature surnaturelle diabolique, je continuerai à tirer avec mon fusil, car je suis un être autonome, indépendant, responsable et libre qui peut chasser pour nourrir sa famille et se défendre des prédateurs, je continuerai à parler de moi avec fierté, car je suis fière de qui je suis et que je ne suis pas seulement la pièce d'un ensemble mais aussi une créature unique de grande valeur, comme toutes les autres, je continuerai à entreprendre et à foncer pour réaliser mes rêves, car l'esprit des pionneers a traversé le mien, et enfin je continuerai donc à être imparfaite et un petit peu américaine, en plus d’être un petit peu française, espagnole, australienne, néo-zélandaise et polynésienne, car je suis humaine avant toute autre chose.


Qu'est-ce-que la cultural-cross imitation ?

C'est l'imitation (par les mots et les actions) d'un individu qui a des expériences de vie à travers différentes cultures. C'est un mécanisme universel. Les enfants apprennent par l'observation et l'imitation. Les adultes font de même entre eux (sans même le savoir ou le vouloir). Lorsqu'un individu vit dans une autre culture que la sienne, il passe par différentes périodes ou phases d'adaptation. Il peut y avoir des chocs, des angoisses, de l’incompréhension mais l'individu finira toujours par imiter les êtres humains qui l'entourent. Que ce soit par le langage, ses expressions faciales et gestuelles ou par ses actions. Il y a des réelles transformations et modifications au niveau cérébral. Nous sommes des éponges. Notre assimilation est absolument extraordinaire. Plus nous sommes exposés à différentes cultures, plus notre humanité s'enrichit. Le nomadisme est une aventure absolument incroyable !

 
Est-ce-que tu veux bien dire un peu de quoi parle le roman que tu es en train d'écrire ?

 Un peu de tout cela...

 
Qu'est-ce-qui fait rêver la Sand de 2016 ? Qu'aimerais-tu qu'il se passe pour toi dans les soixante années à venir ?

La paix dans le monde, la chute des frontières, la vraie place de l'homme dans l'univers. Je rêve de conquête de l'espace aussi. Je suis fascinée par les voyages dans l'espace, et d'un point de vue littéraire par l'anticipation.

 
Quels motifs y a-t-il sur vos housses de couettes, ou couvertures ?

 
Tous nos draps sont blancs. Sans exception. De la housse du matelas aux taies d’oreillers. J'aime les draps blancs, leur propreté et leur fraîcheur. Nous avons aussi des peaux de moutons (de Nouvelle Zélande), j'adore y rouler mes pieds, et j'ai fait des plaids patchwork pour les enfants, un cadeau réalisé en Australie en prévision de notre départ pour le Colorado.


Quelle est pour l'instant la bande sonore de votre vie dans votre cabane ? Avez-vous un disque préféré que vous écoutez beaucoup et qui vous rappellera toute votre vie ce moment actuel que vous vivez ?

 Johnny Cash. Jolene de Dolly Parton. Et bien entendu Blowin' in the wind de Bob Dylan. C'est la chanson que ma fille Lili a chanté pour la première fois sur une scène du Colorado.

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Quand on habite dans un décor de film, quels films regarde-t-on ? Des films des frères Dardenne, qui parlent de jeunes chômeurs sous la pluie belge ? Est-ce-qu'on peut regarder des films d'horreur ou ça fait vraiment trop peur quand on est isolé?

Je suis une grande fan d'Hitchcock et de Henri-Georges Clouzot, les vieux Woody Allen m'amusent beaucoup. J'aime les classiques américains, les films noirs et blancs, les chaînes syfy drive-in (science-fiction). J'ai été énormément touchée par Steven Spielberg étant enfant, les Goonies et ET sont mes favoris. J'ai un gros faible pour les family movies des 80s. Je n'aime pas tellement les films d'horreur d'aujourd'hui, je suis restée scotchée aux Freddies, j'adorais la série. Je vais au ciné avec les enfants régulièrement. En ce moment je suis plutôt dans la lecture. Je lis The Humans de Matt Haig. L'isolement ne me fait pas peur, il me rassure et me réconforte. Je me sens plus forte seule, probablement car j'ai une confiance en moi-même très importante. La société me rend plus vulnérable.

 
As-tu peur des araignées ? As-tu une méthode pour les mettre dehors ? Ou bien ne les mets-tu pas dehors ?

Non je n'ai pas peur des araignées. Je ne mets pas les araignées inoffensives dehors, elles mangent les parasites, comme les moustiques ! Les araignées dangereuses sont capturées et relâchées dehors. Je ne tue que pour me nourrir ;-)  

 
Où peut-on te croiser par hasard ?

Dans un café, je suis dingue accro à mon latte coconut milk, dans une bibliothèque ou une librairie, dans une boutique d’antiquités, sur un chemin de randonnée, une salle de concert, un bar ou un ciné. J'adore aussi les musées et les motels (nous road trippons beaucoup).



14 juin 2016

Camille, 32 ans, Caen

De quoi ta vie est-elle faite en ce moment ? Quelles occupations, préoccupations, pensées, inquiétudes, joies, ras-le-bol, aujourd'hui ?

Je suis revenue vivre en Normandie chez mes parents, et je cherche à me réorienter professionnellement. Ma vie est plus faite de ras-le-bol et de remises en question que de pensées sereines en ce moment. Je ressasse une grosse déception professionnelle qui a eu lieu il y a pourtant presque un an déjà ; j'ai du mal à me remettre de mes échecs de 2015 qui a été une année terrible.

Officiellement, j'attends qu'un miracle se produise et que tout s'arrange dans ma vie,
car j'ai l'impression d'avoir déjà fait beaucoup de compromis, concessions et de choses qui me déplaisaient. Officieusement, j'ai beaucoup de projets, tant professionnels que personnels. Je pense aussi toujours à des projets de longue date que je reprends régulièrement mais qui n'ont toujours pas abouti. Tout est difficile à mettre en œuvre en ce moment, j'ai du mal à faire des choses personnelles dans un endroit qui n'est pas à moi et où je n'ai pas d'espace pour moi. Je culpabilise de ne rien faire, je trouve que ça donne une mauvaise image de moi, et de plus je sais que c'est en travaillant sur mes projets personnels que je retrouverai plus de sérénité et de confiance.

Ceci dit, je ne fais pas vraiment « rien » : je viens de terminer un costume pour ma sœur, qui produit son premier spectacle solo de fil-de-fériste. Nous avons travaillé longtemps sur ce projet mais nous avons eu beaucoup de mal à nous comprendre et ce qui aurait pu être l'occasion de faire une vraie création, très personnelle pour elle comme pour moi, a plutôt été un projet boulet qui n'en finissait pas. Résultat, je suis bien contente de passer à autre chose même si l'approche de la première est très excitante et que j'ai hâte de la voir sur scène.

A côté de ça, j'essaie aussi de faire un book de mes réalisations passées - ou d'organiser plusieurs books (couture/costumes/restauration/création textile) suivant la même ligne éditoriale. Je suis partagée entre le plaisir de revoir et de mettre en page les images de mon travail, et une certaine amertume en pensant au temps et à l'amour mis dans ces créations sans jamais avoir été prise au sérieux.

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Ce que Camille voit de sa place à table.

Tu es créatrice-couturière-costumière ? As-tu envie de parler de tes sources d'inspiration, de ce qui t'enchante, te fait rêver, de ce qui t'enthousiasme, te plaît, te donne envie dans ce domaine-là ? Et toi, quelles choses aimerais-tu faire ? Des costumes de spectacle, comme celui pour ta sœur, un univers où tout est possible ? Quelles matières aimes-tu travailler ? Et lesquelles n'aimes-tu pas du tout travailler ? Quel est le moment que tu préfères dans la réalisation d 'une création ? Et celui qui te plaît le moins ?

Je suis costumière de formation. J'ai fait des costumes pour des particuliers et des petites compagnies, mais j'ai plus travaillé en tant qu'habilleuse sur des spectacles. Ce que je préférais, c'était le stress avant un changement rapide de costume pendant les représentations, mais aussi la mise en place dans les loges et sur le plateau pendant la journée. J'adore les stocks de costumes. Pendant un moment, j'ai pensé pouvoir me spécialiser dans la gestion de stocks et espéré travailler à ce poste dans un grand théâtre, mais les places sont très chères.

Évidemment mon maître à penser dans le domaine du costume de spectacle est le merveilleux Léon Bakst. J'aime aussi les costumes contemporains avec des tissus lumineux, des matières nouvelles ; le vêtement de 1910 à 1950 (à peu près), les habits traditionnels. J'ai un faible pour les costumes de danse en général. J'aime un peu tous les tissus, les imprimés surtout, et les tissus enduits. Mon problème c'est que j'ai du mal à couper mes tissus préférés, je ne trouve pas d'idée assez parfaite pour oser les sacrifier. Je les garde et du coup leur fonction est de me rendre contente quand je les vois.

Ce que je n'aime pas du tout travailler ce sont les mousselines et les voiles. Je n'aime pas préparer le tissu, placer le patron, réaliser des choses en plusieurs exemplaires. J'aime couper, épingler, assembler. Les créations que je fais à titre personnel sont très inspirées du monde du costume. Je travaille la matière pour la rendre moins plate, plus narrative, j'essaie que ça corresponde à un univers particulier. Les thèmes qui malgré moi reviennent sans arrêt sont les sirènes, Frida Kahlo, les oiseaux.

J'aime travailler sur des tissus anciens, des vêtements démodés. C'est plus compliqué et plus long qu'en achetant du tissu au mètre, mais le résultat est unique et la matière n'est pas vierge, c'est inspirant.

Un de mes projets est de créer des costumes pour les enfants, pensés comme des costumes de théâtre, des petits costumes uniques correspondant pour chaque collection à un spectacle imaginaire.

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Pantalons de la folle jeunesse de Camille (2001-2005)

Camille - unvoisin.canalblog.com
Camille fabrique des doudous, des "bancals" comme elle les appelle. Celui-ci date de 2009.

Camille - unvoisin.canalblog.com

Camille - unvoisin.canalblog.com

Marionnette en cours de réalisation (2009).

Est-ce-que tu as toujours voulu devenir costumière ? Qu'est-ce-qui t'a donné cette envie ? Comment as-tu découvert ce monde-là ? Avais-tu un rapport ou un goût particulier aux vêtements/tissus/costumes/déguisements/motifs/dessin quand tu étais enfant ou adolescente ? As-tu hésité avec une autre destinée au moment de postuler pour des écoles après le bac ?

Depuis toute petite j'ai toujours été très créative. Une institutrice a conseillé à ma mère de m'inscrire aux beaux-arts, j'y suis allée pendant huit ans, le mercredi après-midi. Ça m'a appris des techniques très diverses, mais l'important était la démarche créative personnelle plus que l'excellence technique. J'aimais spécialement tout ce qui était travail en volume et la gravure. Enfant, je me suis beaucoup déguisée, il y avait une grande malle à déguisements dans le grenier chez mes parents avec plein de trucs.

Adolescente, j'adorais les vêtements qui sortaient de l'ordinaire, aux couleurs vives. Quand j'étais en 5e, ma mère m'a fait un pantalon avec les quatre morceaux (un pour chaque côté de jambe, ndlr) de tissus différents : un orange à pois blancs, un à carreaux, un rayé vert et orange et un bleu marine à fleurs. J'allais au collège avec ! L'autre pantalon que j'adorais était un pantalon pattes d'éléphant blanc à gros pois rouges. Au lycée, j'ai appris à coudre. Je me suis fait une belle panoplie de fringues marrantes à cette époque, avec des tissus que j'achetais au marché.

Au collège, je voulais être peintre ou ornithologue (j'ai toujours adoré observer les oiseaux). Au lycée, j'ai hésité entre arts plastiques et arts appliqués. J'ai finalement choisi arts appliqués car à ce moment-là je voulais être styliste. Je ne sais plus trop comment je me suis dirigée vers le costume. J'aimais beaucoup le vêtement mais je ne me reconnaissais pas dans le milieu de la mode ; et à cette époque j'admirais ma grande-sœur qui étudiait en arts du spectacle et évoluait beaucoup dans ce milieu depuis plusieurs années : j'ai (peut-être ?) pris un peu du vêtement et un peu du spectacle, ce qui a donné costumière. J'ai déposé des dossiers dans les établissements qui dispensaient le Diplôme des Métiers d'Arts costumier-réalisateur, j'ai été prise, et voilà.

Je n'ai pas travaillé dans le costume tout de suite après, je suis d'abord partie à l'étranger comme fille au pair plusieurs années. J'ai continué à coudre pendant cette période car les familles pour lesquelles je travaillais ont toujours fait en sorte que j'aie une machine à coudre à disposition.
J'ai travaillé pour une costumière et pour des petites compagnies. Du coup, j'ai découvert le monde du spectacle (de manière professionnelle) très tardivement, et en tant qu'habilleuse. J'aimais beaucoup travailler dans ce milieu, faire en sorte qu'un spectacle ait lieu, connaître le fonctionnement des structures, le régime de l’intermittence, les coulisses des théâtres. Mais en réalité, beaucoup de gens y travaillent quotidiennement sans s'y intéresser, ce n'est pas du tout motivant, l'hypocrisie est reine, l'argent est roi, c'est fatigant.


Je voudrais revenir sur ton expérience de jeune fille au pair : où es-tu partie ? Quel effet est-ce-que ça t'a fait de partir loin de tout ce que tu connaissais, as-tu ressenti une liberté infinie, t'es-tu sentie toute petite dans la grandeur du Monde ? Fait-on des choses (vit-on des choses) qu'on n'aurait jamais osé vivre/faire dans son propre pays ? Quel souvenir gardes-tu de ces expériences ? Es-tu intimement marquée par cette période-là, et si oui, de quelle façon ?

Je suis partie six fois en cinq ans, dans quatre familles, j'ai gardé six enfants. Je rêvais de tour du monde sac au dos, mais le principe de l'au pair m'a tout de même séduite, j'étais nourrie et logée c'était une bonne façon de commencer à voyager. Je me suis sentie plutôt à l'aise, j'étais sûre d'être en train de vivre des trucs vraiment géniaux.

Ma première destination a été Barcelone, j'y ai appris les bases de l'espagnol mais j'ai préféré le catalan, et l'aventure a commencé dans la famille suivante, au Mexique. Vivre hors d'Europe était une première pour moi, je n'ai pas été déçue. Puis en Grèce dans les Cyclades, j'ai vécu mes meilleurs moments de fille au pair. J'ai travaillé trois fois dans cette famille, entre deux j'allais au Mexique, sac au dos cette fois. J'avais une vie toujours en mouvement, j'étais souvent assise dans un avion, côté hublot. A Barcelone par exemple j'emmenais la petite chez son père à Milan ou à Lugano une fois par mois. Quand il n'y avait pas besoin de moi là-bas, j'allais chez ma grand-mère près de Vicenza, je lui faisais la surprise. C'était cool, j'étais à la fois à la disposition des gens et à la fois très libre.

Ma dernière expérience a été très courte car elle s'est mal passée… J'étais retournée au Mexique, dans une famille espagnole : de vrais monstres ! Il a fallu élaborer un stratagème pour organiser ma fuite (!) et aller porter plainte pour la confiscation de mon passeport, ça a pris des semaines et comme on était en pleine affaire Cassez le consulat était partagé entre porter plainte (car un passeport appartient à l'état qui le délivre) ou laisser couler. Ils ont préféré la deuxième option. J'ai pris un appartement, j'ai fait refaire mes papiers, et je suis restée un an (ça c'est une chose que je n'aurais pas faite en France !).

Du coup mon passeport est à mon ancienne adresse mexicaine. Il faudra le refaire bientôt et ça tournera une page de ma vie. Cette période de voyages réguliers est très importante pour moi, j'y pense souvent, elle a été faite de découvertes sur les gens, sur moi, la politique, le fonctionnement du monde, ça influence ma façon de penser actuelle. J'ai beaucoup aimé tous les lieux dans lesquels j'ai vécu, les maisons comme les villes. Je pense au Mexique chaque jour, des petits flashs, des souvenirs anecdotiques me maintiennent quotidiennement dans la nostalgie de ce beau pays. Retourner y vivre est un rêve merveilleux. Pour moi tout est vraiment parfait là-bas, j'ai tout de suite adhéré à la musique, la cuisine, les transports, les odeurs, l'histoire, l'accent.

Je garde le souvenir très tendre de chaque enfant que j'ai gardé -j'entends encore le son de leurs voix, surtout de Claudia qui aura bientôt 14 ans et dont j'ai des nouvelles régulièrement (facebook aidant) et de Léa que je suis revenue garder à plusieurs reprises. J'ai aimé vivre dans ces familles, à chaque fois c'était un milieu et une façon de voir les choses très différents, c'était intéressant de me rendre compte de leurs priorités dans la vie, de ce qui était important pour eux.

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Au Mexique, à Cuernavaca (l'image de droite a été prise trois avant que Camille ne vive dans l'appartement d'en face !)

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A droite, une femme au marché de San Cristobal de las Casas, Chiapas, 2008.

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La photo de droite a été prise à Parikia dans les Cyclades en 2007.

Tu parles de flashs, de souvenirs anecdotiques qui te reviennent un peu tous les jours, tu peux en raconter un ou deux ? Et si jamais ils te reviennent dans des contextes précis de ta vie actuelle, tu peux préciser lesquels ?

Ce sont des petits souvenirs qui reviennent à la moindre occasion, une odeur, une situation, une musique, un sujet d'actualité, tout et n'importe quoi. C'est assez difficile à expliquer du coup.

Par exemple, la semaine dernière les averses à répétition qui s’abattaient sur le jardin m'ont fait penser à ce jour à Campeche, c'était la saison des pluies, il avait plu à torrents pendant des heures puis le soleil et la chaleur étaient revenus et tout avait séché en deux temps trois mouvements. J'étais assise sur un petit muret le long d'une haie de bougainvilliers pour voir passer le défilé des enfants des écoles, les gens arrivaient en masse, c'était l'attraction du jour. A côté de moi deux petits pépés discutaient, l'un dit à l'autre « je n'ai pas pu résister, j'ai pris mon savon et j'ai été me laver dehors sous la pluie ».

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La gare routière de la Mesilla, frontière Mexique-Guatemala côté Guatemala, 2009.


Peux-tu raconter un souvenir d'enfance exquis ?

Un souvenir d'enfance exquis ? J'en ai des tas! Quand j'étais petite nous partions ma grande sœur et moi en vacances en Italie avec mes grands-parents. On prenait le train de nuit Paris-Venise, nous dormions sur les couchettes du bas, moi tête-bêche avec ma grand-mère, ma sœur tête-bêche avec mon grand-père. Ça sentait la cigarette. On s'endormait tout de suite et on ne se réveillait qu'au petit matin. On buvait du café au lait de la thermos marron, et c'était déjà l'heure de descendre à Vicenza. La gare est tout en marbre, avec des fontaines d'eau potable. Mon grand-père me portait pour que je puisse boire. Il faisait beau et chaud, ça sentait l'Italie, ça bruissait l'Italie, c'était le début des vacances.

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Souvenir d'enfance en Italie (1987).

Où peut-on te croiser par hasard ?

Me trouver par hasard : dans le tram.

19 mai 2016

FreD, 48 ans, quelque part pas loin de la Loire

De quoi ta vie est-elle faite en ce moment ? Quelles occupations, préoccupations, pensées, inquiétudes, joies, ras-le-bol, aujourd'hui ?

Ma vie est faite d'un rêve de Tiny House : savoir si ce projet pourra se réaliser, mais aussi comprendre si c'est un vrai désir ou un désir de "remplir" ma vie d'un projet.
Je tiens à le savoir avant pour être vraiment sûre de moi.
En fait je pense que c'est un vrai désir en accord avec mon chemin depuis bientôt 3 ans, celui de me dépouiller petit à petit des couches qui m'encombrent, matériellement, émotionnellement et spirituellement.

Je ne veux pas être dans le "trop" et "trop" est très vite atteint pour moi. Je pense que c'est aussi parce que je suis justement "trop" enthousiaste, "trop" naïve, "trop" confiante et que j'ai "trop" d'envies (de faire , de créer, de ne rien rater, de vivre…), du coup je crois que j'essaie de me freiner  pour arriver à être plus mesurée, ce à quoi j'aspire aussi, car je trouve cela plus apaisant : moins juger, moins parler, moins bouger, être plus dans l'être que dans le faire.
C'est un état difficile pour moi mais je crois que j'apprends.

Vivre dans un petit espace, sobre, épuré mais beau et écolo, et posé dans la verdure, c'est peut être une bonne façon d'acter ce chemin là.
Donc mes inquiétudes sont financières et sur le fait de trouver un terrain et d'apprendre à lâcher prise en se disant que si ça doit se faire cela se fera.

D'autres préoccupations sont liées au fait d'avoir arrêté de payer mon loyer pour enfin obtenir une réponse de mes proprios et de l'agence immobilière à mes demandes.
Je fais les choses dans les règles (courrier AR , commission de conciliation) mais je n'aime pas être dans l'illégalité, c'est de l'inconfort pour moi.
Néanmoins je n'aurais pas osé il y a quelques temps et je me rends compte que je me laisse moins marcher sur les pieds.

Avec les punaises du boulot aussi - ça c'est une vraie contrariété et une vraie source d'inquiétude. Ce climat malsain de commérages, mésententes et mauvaise ambiance est très énergivore et je ne vois pas de solution pour que ça s'arrête mais peut être ce CDI est-il l'opportunité pour avoir la Tiny House et qu'ensuite avec ma maison sur le dos comme un escargot je pourrai décider librement quel choix professionnel faire.

Disons que j'ai l'impression que rien n'est hasard et que je peux apprendre de toutes ces situations pourries ou pas.
On ne décide pas de son passé mais on peut décider de son avenir à chaque moment.

Mes chiens me procurent beaucoup de joies, ce sont des contraintes certes mais elles sont tellement dans l'instant présent et dans la joie pure, tout est nouveau chaque jour, elles m'aiment inconditionnellement, que je sois bien lunée, de mauvaise humeur, mal habillée ou toute jolie, du moment que je leur donne leurs croquettes en temps et en heure - c'est très reposant comme relation.

Être dehors dans ce débordement de couleurs et de sons et d'odeurs du printemps est aussi une très grande joie, c'est comme si j'oubliais chaque année que ça va revenir, que les jours vont rallonger, qu'il va faire chaud et que je le vivais pour la première fois à chaque fois.
Je trouve ça chouette que même à mon âge, il y ait encore plein de premières fois.

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Chez de chers amis de FreD, un ancêtre de Tiny House / Une vue vue par FreD chaque matin en partant travailler.

 
Tu as un désir de sobriété, est-ce-que ça a toujours été le cas ?
Si tu as besoin d'une attache parisienne, tu en achètes une boîte, qu'est-ce-que tu fais du reste de la boîte pour ne pas qu'il traîne au fond d'un tiroir ? (c'est une question anecdotique mais c'est comme ça que, personnellement, je me retrouve encombrée !)
Comment imagines-tu la Tiny House de tes rêves ?
Crois-tu en quelque chose ?

Quand j’étais petite, je n’étais pas du tout à la mode, mes parents ne nous achetaient pas beaucoup de vêtements et j'enviais quelques copines hyper stylées (elles fréquentaient la Droguerie, folie), elles avaient le talent de s'habiller l'air de rien (aujourd'hui je sais qu'en fait c’était des filles riches) et moi je me sentais hyper terne à coté, on habitait un coin friqué mais comme mes parents étaient en logement de fonction on n'avait pas les mêmes moyens, je me sentais toujours à la traîne et décalée.

J'aurais pu tomber dans la consommation facilement pour rattraper mais mon père était super grave avec ça, il achetait (encore maintenant) tout et n'importe quoi et ça rendait ma mère hyper anxieuse.
Cet exemple m'a totalement freinée, la peur de manquer d'argent et tout compter m'ont complètement façonnée.

Mais ma conscience de la sobriété et de l’épure n'est venue qu'après je crois - mais voir mon père acheter des conneries à tour de bras , sans nécessité et sans réflexion m'a beaucoup fait réfléchir sur ce que je voulais moi. Pas de crédit si possible, pas d'achat pour rien, pas d'achat de compensation (bon ça m'est déjà arrivé).

Ensuite, le père de mon fils gardait tout absolument tout et lorsque nous nous sommes séparés et que j'ai enfin respiré dans l'appartement, j'ai eu envie de laisser ce vide qui me faisait tellement  de bien et je me suis rendu compte à quel point la dépendance aux objets m'oppressait.

J'aime les jolies matières et le bois, mais je suis contradictoire aussi car j'aime les choses légères et c’est rarement le cas du bois, de la pierre ou de la porcelaine.

J'ai eu une période où j'achetais pas cher dans les brocantes des objets avec une histoire mais même s'ils sont beaux, s'ils ne sont pas dans mon histoire finalement ça ne sert pas.

Et puis j'ai découvert il y a environ 12 ans les écrits de Dominique Loreau (L'art de la simplicité) et j'ai eu le sentiment que quelqu'un comprenait enfin ce que je ressentais.
J'ai fait des erreurs, des erreurs d'achat, des erreurs de choix pratiques qui finalement ne me correspondent pas, et désormais je réfléchis (ou j'essaye) à ce qui fonctionne le mieux pour moi.

J'ai pas mal déménagé ces derniers temps aussi et faire le vide rendait les choses moins coûteuses et moins lourdes et finalement il n'y a rien que je regrette.
En général j'essaie de me passer des choses, mais je veux vivre quand même confortablement - mais je sais que pour la Tiny House, il va falloir que je fasse vraiment le vide (mais j'y gagnerai en confort).

Pour les attaches parisiennes je ne sais pas (c'est les trombones ?) en général j'en récupère à la librairie quand il m'en faut un.
Mais par exemple je suis du genre à jeter le premier stylo qui ne marche pas et à ramener régulièrement à la librairie, les bics que j'ai en trop, les tasses en trop, ce genre de choses qui peuvent servir à tous.

Je vais direct à la déchetterie par exemple, aux Emmaüs ou aux containers porter mes trucs, ça ne traîne pas.
En général quand j’achète un vêtement, un autre dégage (Le bon coin, Emmaüs ou récup' si abîmé ou trop vieux). Pareil pour les chaussures.
J'arrive à me tenir à ne plus acheter de laine pour finir mon stock, je ne garde pas mes livres, ni les magazines courants (je garde Kaizen et Happinez).
Je n'ai qu'un seul shampoing, un seul savon, et une seule crème.
Pour le ménage, du savon noir et du vinaigre (mais un peu trop de chiffons microfibres).

Mais je vais inspecter les choses une à une au fil des jours qui viennent pour les passer au filtre Tiny House...
Pour celle-ci , je vais faire confiance à l’équipe de Baluchon, mais on va faire les plans ensemble pour que cet espace soit conçu vraiment pour mon mode de vie.
C'est aussi ça l'exaltant de l'histoire, on ne va pas placer les éléments en fonction de murs ou de fenêtres mais penser les murs et les fenêtres en fonction de mes besoins et de mes envies.
J'ai évidemment plein d'idées (et mon compte Pinterest aussi).

Je n'ai pas de religion particulière, j'ai eu une éducation catholique basique mais je n'aime pas tellement cette façon de voir les choses.
Je crois plutôt aux forces des esprits, de la nature, aux forces telluriques, à l’énergie.
Je pioche partout, surtout dans mes lectures.
Je suis attirée par les penses japonaises, chinoises (en médecine particulièrement) et par l’espèce de fatalisme des asiatiques.

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Ce qu'on voit de la fenêtre de la cuisine de FreD. / Ce que voit FreD depuis sa place à table.


Quelle serait ta vie idéale pour dans dix ans ? Et as-tu une idée de société rêvée ?

Tu m'aurais demandé il y a exactement 3 ans, je t'aurais répondu "pareil que maintenant , toujours dans ma librairie, toujours avec mon chéri, et en ayant aménagé une maison top et un jardin, en ayant cultivé un bon réseau d'amis, bien installée à Chartres".
Or tout a explosé en vol et chaque année m'a amenée à changer depuis : de travail, de vie, de maison, d'endroits.
Plus de chéri, pas de vie sociale (c'est-à-dire un réseau de connaissances avec qui avoir des activités et des loisirs), des amis chers au loin avec lesquels j’échange par mail ou par téléphone, mon fils dans une autre ville avec sa vie à construire.
Donc je n'ai aucune réponse pour dans 10 ans, je ne sais même pas pour dans 3 mois...

Je me souhaite néanmoins pour dans 10 ans, une vraie bonne santé faite de choses saines et de sérénité, me permettant de réaliser ce que je veux sans frein physique (sans trop de frein physique).
Je me souhaite aussi d'avoir gagné en sagesse pour projeter de la sérénité et de la bienveillance vers les autres.
Je me souhaite un certain confort de vie, pas forcément beaucoup de matériel, mais ne pas avoir à y penser.
Pour le boulot je ne sais pas, vraiment, je ne me vois pas dans cette librairie telle qu'elle fonctionne actuellement mais on ne sait jamais comment les choses évoluent.

L'idée que nous évoquons parfois avec mon amie Gaëlle, comme une plaisanterie, de faire un béguinage me semble chouette et à creuser.

J'aimerais ne plus avoir besoin d'argent (avoir hérité ou gagné au loto) pour m'installer au soleil avec ma Tiny House et juste profiter de toutes les journées qui passent au gré du vent : mais ça c'est un rêve, je ne peux pas en faire un projet puisque la base est aléatoire (le gain d'argent).
Dans ce rêve, un petit poste bénévole dans une jolie bibliothèque ou un café tranquille à mon rythme, oui ce serait bien.
En fait j'aimerais un travail sans impératif d'argent pour pouvoir donner envie aux gens d'être là sans contraintes. A réfléchir.

Parfois je me dis aussi que j'aimerais vivre aux Pays-Bas parce que j'aime leur dynamisme et leur façon de voir les choses, ou en Écosse pour la beauté des paysages, mais j'aime le soleil et la chaleur.
Je ne me vois pas en ville, mais il ne faut jamais dire « fontaine... »...

Pour la société, je crois au salaire minimum qui laisserait aux gens le choix de leur vie.
Je ne crois pas aux vertus de l'ambition et j'aimerais que les gens soient plus bienveillants à leur petit niveau qu'avec de grandes démonstrations : c'est bien de dire "je suis Charlie" par exemple, mais si tu te comportes comme une punaise avec ton voisin ou ton collègue ou ton commerçant, pour moi ça n'a pas de sens.

Ensuite je suis une solitaire, j'ai du mal avec les rassemblements, les équipes, etc. Je trouve que ça brasse vite du vent.
Et les échanges d’idées sans rien de concret, pour moi, c'est hyper énervant, mais j'admire les gens tranquilles qui peuvent vivre comme ça.
Moi, quand je dis, je fais et je suppose que c'est hyper énervant pour mon entourage.

Je ne crois pas aux valeurs politiques, même si bien évidemment les valeurs extrémistes me dérangent.
Je suis individuelle mais je pense que je pourrais vivre dans une communauté aux biens mis en commun si j'avais mes espaces de liberté pour quand j'en ai besoin, parce que je ne suis pas non plus si solitaire que ça et j'aime bien échanger et écouter les retours des autres.


Est-ce-que tu as une (ou plusieurs) idée de quelque chose qu'on peut faire, chacun à son échelle, pour que le monde tourne plus rond ? Pour s'impliquer dans l'amélioration du monde si jamais on le trouve pas terrible ?

Sourire aux autres, à tous, tout le temps, partout.
Avoir l’élégance de ne pas trop se plaindre, même quand c'est difficile, même quand c'est moisi (si on peut, parce que c'est difficile).
Ne pas colporter de propos malveillants.
Planter des légumes partout pour tous, pour que les gens aient à manger de bonnes choses, se parlent et participent comme ils ont envie.
Repenser l’école pour que chacun puisse trouver sa place sans idée de compétition.
Continuer à croire qu'on vit chez les Bisounours , on s'en prend peut-être plein la gueule  mais on est plus droit dans ses bottes.


Où peut-on te croiser par hasard ?

On peut me croiser 5 jours sur 7 à la librairie mais pas vraiment par hasard.
Dans les vignes avec mes chiens autour de chez moi jusqu'assez loin.
Et peut être au hasard de la vie et des routes avec une Tiny House en  remorque.

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